26. Le jeu de la vérité

 

« – Je ne viens pas vraiment de l’espace.
 – Lui, c’est Washington, il vient pas vraiment de l’espace.
 – Ne te moque pas de moi, l’ami ! […] Je fais de la divergence mentale. Je me trouve actuellement sur la planète Ogo, j’appartiens à une élite intellectuelle qui se prépare à éliminer les hordes barbares qui ont envahi Pluton. Pourtant, bien que tout soit totalement convaincant et même si cela me semble réel en tout point, le fait est que Ogo est une élaboration de mon mental. Je suis mentalement divergent. De cette manière, j’échappe à certaines réalités innommables qui me rendent la vie impossible ici. Quand je cesserai d’aller là-bas, je serai guéri. »

 

L’armée des 12 singes

 

 

 

Quand tu marches sur la fine ligne de la vérité, c’est très difficile de garder l’équilibre.

 

 

Avec quelques-uns mon pas est assuré. Car je leur dis la vérité, la pas belle toute crue, ou la très chouette qui te fait passer une belle journée.

C’est simple mais pas toujours facile.

 

 

Avec beaucoup d’autres, je fais attention aux ornières pour ne pas me planter. Je marche sur la pointe des pieds sur un chemin fait de semi vérités et de non-dits, parce qu’il y a des gens qui ne sont pas en capacité d’entendre les trucs pas cools que la vie peut délivrer, ou tout simplement parce que je ne souhaite pas que cette vérité là leur appartienne.

C’est chiant mais c’est facilitant.

 

 

Avec mes enfants, je suis une funambule permanente.

J’ai décidé depuis le début de ne pas leur mentir, ni d’enjoliver la vérité, de ne pas inventer une autre histoire que la mienne.

Mais je dois également les protéger, et endosser ma tenue de Supermaman quand on parle du cancer.

 

 

Bon ben au début je leur ai dit que j’avais un cancer, qu’on allait me guérir, et que j’allais certainement perdre mes cheveux et être très fatiguée et super pénible pendant les 9 mois à venir. Ça aurait été un super plan.

Quand 15 jours plus tard j’ai appris qu’on allait me soigner mais pas me guérir, qu’il n’y aurait pas de chimio ni rien, ben il a fallu revoir la copie avec les enfants. Allez, un petit 2ème conseil de famille.

Petit changement: maman va garder ses cheveux. Et il n’y aura pas de vomito non plus.

Voili voilo, pou le moment pas de mensonge et que des vérités.

 

 

C’est là que le mot magique est apparu. Contenir. Il est sorti tout seul de ma bouche sans que j’y ai réfléchi, et depuis je m’y accroche comme une moule à son rocher. Parce qu’il a fait un carton avec mes enfants.

Donc la médecine va aider maman à contenir son cancer, avec quelques piqûres de temps en temps à la maison.

Oui, je serai en arrêt maladie quand même. Oui, je pourrai venir vous chercher à l’école.

 

Et la discussion s’est arrêtée là, car ils n’avaient pas de question. Ils avaient eu l’information nécessaire, ils avaient l’air rassuré, et c’était bien comme ça.

 

 

 

Depuis au fur et à mesure de leurs questionnements, la vérité se fraie un chemin en douceur. Ça veut dire quoi exactement contenir? Mais tu ne vas pas guérir?

Sur les trois trolls, certains me posent par période beaucoup de questions. Ils entendent des pubs à la radio sur les dépistages de cancer, il parait que ça se soigne bien le cancer.

J’essaie toujours de répondre le plus clairement possible.

 

 Je ne veux pas être trop dure, je ne veux pas que ce soit le monde des Bisounours non plus. Je cherche à être dans la justesse.

 

 

Car il n’y a pas de vérité arrêtée avec ce qui m’arrive.

 

 

 

La vérité c’est quelque chose de changeant, d’incertain. Elle s’adapte aux gens, aux événements, au progrès, à ce que tu choisis de faire et de penser.

Croire que la vérité ait un seul visage, que pour l’apercevoir il ne faut regarder que dans une seule direction, c’est fermer la porte à l’espoir, à la recherche, à ton rôle potentiel et à celui des autres. Je ne pense pas qu’on bénéficie d’un destin figé et que tout soit écrit dans le marbre.

 

 

En écrivant ça je me rends compte que je pourrai vite dériver dans la zone grise, floue et bizarre de la croyance aveugle. Comme ces gens qui ont vu la lumière et qui ne se posent aucune question, ceux qui refusent de se soigner et choisissent de prier Dieu, ou qui rentrent dans des sectes, ou encore ceux qui achètent des crèmes amincissantes au printemps.

Et nan sans un bon régime et du sport, la cellulite ne disparaît pas.

 

 

C’est là que le concept d’intégrité est intéressant. L’intégrité, nous informe Wikipédia, « est la motivation première à être conforme à ce que l’on est réellement. » Et en plus ce qui est très chouette: « L’intégrité, c’est aussi l’absence de mauvaise intention. En parlant du caractère intègre d’une personne, ce mot fait référence à son honnêteté. »

 

 

Et voilà, je suis moi. Si le scepticisme était un pouvoir, j’aurai une cape rouge, des collants bleus et je serai SuperSceptique, la Super Héroïne qui ne croit en rien.

Je me donne juste le droit de virer mes œillères et de m’offrir un petit galop dans un champ de possibilités, avec toutes ces vérités potentielles prêtes à éclore.

 

 

Est-ce que je pense que je vais guérir parce que je fais beaucoup d’efforts et que vraiment ça serait injuste que je meurs?

Certainement qu’il y a un petit bout de moi qui croit ça.

Mais grosso merdo, je pense que je vais mourir, comme tout le monde. J’espère juste que ça sera le plus tard et dans les meilleures conditions possibles.

 

 

 

Parfois les mensonges que tu racontes aux autres deviennent la vérité à laquelle tu crois. C’est un peu pathétique, ça se soigne je crois. Depuis quelques années de nombreux articles fleurissent sur ce type de personnalité, les manipulateurs pervers. Moi j’appelle ça être un gros mytho.

J’ai passé mon master en détection de gros mytho, j’y ai été exposée de longues années, et c’est ce que je ne veux pas devenir.

 

 

Parfois le chemin auquel tu choisis de croire avec tes tripes devient la vérité qui te tombera dessus à l’ouverture de la boiboite, peut-être parce que l’esprit a autant de superpouvoirs que l’atome, peut-être parce que t’as du bol et que l’aléatoire est de ton côté. Ça s’appelle se donner une chance et être sincère.

 

 

 

Pour moi l’important c’est de rester droite dans mes bottes, avec les autres mais surtout avec moi-même, sur cette ligne très fine.

Je deviens forte en funambulisme.