40-59,  Anciens billets,  ZombieLand

58. Please, meet the ZombieCat

 

 

« – Mais les rêves ne sont pas la réalité…
– Qui peut dire où commence l’un et où finit l’autre ? »

 

Alice au pays des merveilles

 

 

 

– Rhaaaaaaa!!! Mais punaise de punaise de.. Punaise mais… mais c’est.. c’est quoi encore?!!! Mais c’est quoi ça!!  Alors vas-y m.. montre toi avec tes conseils à la con!!!  Je me mouche avec quoi hein? Avec quoi!!! J’ai plus de nez! J’ai plus de tête! J’ai plus de souvenirs, plus de vie, plus rien! Plus rien putain!!

 

Je suis en colère, tellement en colère que j’en bredouille, j’en hoquête. Tellement en colère que j’en oublie ma peur, j’en oublie la fumée bouffeuse de meubles. J’ai juste envie de taper, de détruire, de hurler, et si je dois partir dans un élan de rage, alors ok! Oui! Ça sera violent, ça sera libérateur, et une partie de moi, profondément ancrée,  se réjouit.  Enfin réagir, agir, lâcher les chiens.

La rage m’étreint et je l’embrasse pleinement, sur la bouche avec la langue et tout et tout, tandis que je recrache toute la tension accumulée depuis mon absurde décapitation.

 

– Allez montre toi!! Vas-yyy!! Vas-y! Tu veux quoi?? Tu veux quoi!!!! Parce qu’il n’y a plus rien à prendre! Plus rien! Alors tes conseils tu peux te les carrer où je pense hein! Tu m’entends?!! Merde!

 

Silence. Rien.

 

– Non mais punaise, mais tu te … Aaaah!

 

Je tombe soudain d’un cran et je me crispe à mort contre le mur avec mes pieds tremblants sur le dernier barreau en espérant ne pas basculer. Je retrouve mon équilibre et je jette un coup d’œil vers le bas: les pieds de l’échelle sont en train de se faire grignoter par la fumée.

L’urgence de ma situation me douche d’un énorme seau d’eau glacé. Je dois réfléchir. Trouver une solution, immédiatement.

 

 

Je me retourne légèrement et j’essaie de voir s’il y a quelqu’un d’autre dans la pièce à travers le voile de fumée opaque. Je ne vois personne.

Alors ça, y est j’entends des voix maintenant? Mais elles ne peuvent pas être dans ma tête. N’est ce pas? J’ai passé le cap de la folie et je m’excite toute seule comme une débile au lieu d’essayer de sauver ma peau.

 

C’est grandiose. Juste grandiose.

 

 

 

Une nouvelle odeur recouvre celle de la fumée, une odeur de terre, d’humidité, et de viande faisandée. Je regarde vers le haut et il y a un sourire plein de dents juste devant moi.

Dans un cri strident je lâche tout et je tombe.

 

 

 

Huuummpf! Je suis brutalement stoppée dans ma chute, retenue par mon kleenex géant qui me brise le dos.

 

– Chacrroche toi, ça va remuer!

 

J’ai juste le temps de redresser mon torse à la force du désespoir et de mes abdos peu coopératifs, et de me m’accrocher comme je peux en boule au mouchoir. Je suis suspendue dans les airs, et le mouchoir est accroché… à rien.

Puis j’aperçois le  sourire qui réapparaît juste au dessus de ma tête, c’est lui qui tient le kleenex, mais je le perd de vue et suis violemment secouée alors que j’atterris d’un bond sur le rebord de la fenêtre. La bouche géante s’élance sans pause vers l’herbe à l’extérieur et je crie encore plus lors de l’atterrissage musclé. Je crois que je vais vomir.

Est ce que je peux vomir? Techniquement ça serait encore plus dégueu que l’acte classique. Nan, je dois absolument me retenir. Je n’ai plus ma tête mais j’ai encore ma dignité.

 

 

La bouche se met à avancer au rythme d’une course souple et rapide, et je me tiens tant bien que mal au mouchoir en évitant les dents tranchantes à quelques centimètres de mes mains.  Au bout de plusieurs longues et inconfortables minutes je suis déposée sur le sol, à l’orée d’une forêt. Je m’écroule sur mes fesses, car mes jambes tremblantes ne me portent pas. Je me retourne à quatre pattes et m’aperçois que le bâtiment que je viens de quitter disparaît dans un effondrement ouaté. Il ne reste bientôt plus rien qu’une plaine vide.

 

Je contemple avec consternation la dissipation des derniers lambeaux de fumée par le vent à l’abri de la forêt silencieuse.

En compagnie d’une grande paire de canines luisantes.

 

 

 

Ma main se plaque contre mon palpitant qui bat la chamade. Je devrais dire quelque chose. Merci peut être? Ou alors: désolée de m’être un tantinet énervée? Ou surtout: je ne suis pas bonne à manger, je suis limité périmée.

L’odeur de sous-bois faisandé s’épaissit tandis que je sens quelque chose de doux, épais et soyeux qui se frotte contre mon bras. La bouche se déplace dans les airs encore plus près de moi et le contact chaud et doux continue maintenant sur ma clavicule. J’entends un ronronnement sonore émaner de la chose aux dents acérées.

Deux yeux font leur apparition au dessus du sourire aiguisé. Ils sont cerclés de jaune autour d’une grosse pupille noire, puis virent à un bleu glacé sur le reste de l’iris.

 

– Tu as changé depuis la dernière fois. Je t’ai connue plus… entêtée. Moins… écervelée. Tu t’es mise dans un chacré pétrin.

– Quoi? On se connaît? Mais qui êtes vous?

– Oh, on se connaissait très bien dans une autre vie. Je t’avais tellement bien miaourquée de mon odeur à l’époque que chaque minou qui s’approche de toi maintenant sait que tu m’appartiens.

– Nan mais ça va pas! Je n’appartiens à personne. Et arrêtez de vous frottez, c’est bizarre franchement.

– Ah, c’était le bon temps. Tu pensais être ma maîtresse et moi je savais que tu étais mon esclave. Mais je t’ai toujours très bien traitée. Tu étais ma Juliette et j’étais… enfin c’était il y a longtemps.

– Juliette c’est mon nom?

– Non, tu t’appelais.. on va dire que tu t’appelles A. Un petit bout de nom pour une femme à qui il manque un bout. Tu peux m’appeler Miou. Allez saute sur mon dos, on doit partir vite si tu ne veux pas être en retard. Et garde bien le kleenex.

 

J’obtempère en essayant de trouver son corps transparent à tâtons, je m’accroche à ses poils qui me semblent longs et je lui grimpe dessus, puis je solidifie le nœud du mouchoir autour de ma taille. Miou s’élance dans la forêt en trottinant.

Je me blottie contre sa fourrure à l’odeur d’humus, et d’un relent de viande décomposée. Je ne devrais pas trouver cette odeur réconfortante, et peut être que je ne devrais pas non plus faire bêtement confiance au premier chat invisible et puant venu, mais je suis apaisée.

J’ai un allié, même si je ne le vois pas. Je peux me relâcher et m’accrocher à lui.

 

 

Tout est enfin tranquille, et la démarche chaloupée du félin me berce tandis que nous nous enfonçons sous l’épaisse frondaison.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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